Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/177

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
160
TÉLÉMAQUE.

ses yeux pleins de feu, et dont le regard était si ferme ; voilà son air, d’abord froid et réservé, qui cachait tant de vivacité et de grâces ; je reconnais même ce sourire fin, cette action négligée, cette parole douce, simple et insinuante, qui persuadait sans qu’on eût le temps de s’en défier. Oui, vous êtes le fils d’Ulysse, mais vous serez aussi le mien. Ô mon fils, mon cher fils, quelle aventure vous mène sur ce rivage ? Est-ce pour chercher votre père ? Hélas ! je n’en ai aucune nouvelle. La fortune nous a persécutés lui et moi : il a eu le malheur de ne pouvoir retrouver sa patrie, et j’ai eu celui de retrouver la mienne pleine de la colère des dieux contre moi. Pendant qu’Idoménée disait ces parole, il regardait fixement Mentor, comme un homme dont le visage ne lui était pas inconnu, mais dont il ne pouvait retrouver le nom.

Cependant Télémaque lui répondait les larmes aux yeux : Ô roi, pardonnez-moi la douleur que je ne saurais vous cacher dans un temps où je ne devrais vous témoigner que de la joie et de la reconnaissance pour vos bontés. Par le regret que vous témoignez de la perte d’Ulysse, vous m’apprenez vous-même à sentir le malheur de ne pouvoir trouver mon père. Il y a déjà longtemps que je le cherche dans toutes les mers. Les dieux irrités ne me permettent ni de le revoir, ni de savoir s’il a fait naufrage, ni de pouvoir retourner à Ithaque, où Pénélope languit dans le désir d’être délivrée de ses amants. J’avais cru vous trouver dans l’île de Crète : j’y ai su votre cruelle destinée, et je ne croyais pas devoir jamais approcher de l’Hespérie, où vous avez fondé un nouveau royaume. Mais la fortune, qui se joue des hommes, et qui me tient errant dans tous les pays loin d’Ithaque, m’a enfin jeté sur vos côtes. Parmi tous les maux qu’elle m’a faits, c’est celui