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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/183

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TÉLÉMAQUE.

cachent aux faibles hommes leur destinée dans une nuit impénétrable. Il est utile de prévoir ce qui dépend de nous, pour le bien faire ; mais il n’est pas moins utile d’ignorer ce qui ne dépend pas de nos soins, et ce que les dieux veulent faire de nous. Télémaque, touché de ces paroles, se retint avec beaucoup de peine.

Idoménée, qui était revenu de son étonnement, commença de son côté à louer le grand Jupiter, qui lui avait envoyé le jeune Télémaque et le sage Mentor, pour le rendre victorieux de ses ennemis. Après qu’on eut fait un magnifique repas, qui suivit le sacrifice, il parla ainsi en particulier aux deux étrangers :

J’avoue que je ne connaissais point encore assez l’art de régner quand je revins en Crète, après le siège de Troie. Vous savez, chers amis, les malheurs qui m’ont privé de régner dans cette grande île, puisque vous m’assurez que vous y avez été depuis que j’en suis parti. Encore trop heureux si les coups les plus cruels de la fortune ont servi à m’instruire, et à me rendre plus modéré ! Je traversai les mers comme un fugitif que la vengeance des dieux et des hommes poursuit : toute ma grandeur passée ne servait qu’à me rendre ma chute plus honteuse et plus insupportable. Je vins réfugier mes dieux pénates sur cette côte déserte, où je ne trouvai que des terres incultes, couvertes de ronces et d’épines, des forêts aussi anciennes que la terre, des rochers presque inaccessibles où se retiraient les bêtes farouches. Je fus réduit à me réjouir de posséder, avec un petit nombre de soldats et de compagnons qui avaient bien voulu me suivre dans mes malheurs, cette terre sauvage, et d’en faire ma patrie, ne pouvant plus espérer de revoir jamais cette île fortunée où les dieux m’avaient fait naître pour y régner.