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TÉLÉMAQUE.

ritent de la connaître. Voyons si vous aurez maintenant le courage de vous laisser humilier par la vérité qui vous condamne.

Je disais donc que ce qui vous attire tant de louanges ne mérite que d’être blâmé. Pendant que vous aviez au dehors tant d’ennemis qui menaçaient votre royaume encore mal établi, vous ne songiez au dedans de votre nouvelle ville qu’à y faire des ouvrages magnifiques. C’est ce qui vous a coûté tant de mauvaises nuits, comme vous me l’avez avoué vous-même. Vous avez épuisé vos richesses, vous n’avez songé ni à augmenter votre peuple, ni à cultiver les terres fertiles de cette côte. Ne fallait-il pas regarder ces deux choses comme les deux fondements essentiels de votre puissance ? Avoir beaucoup de bons hommes, et des terres bien cultivées pour les nourrir ! Il fallait une longue paix dans ces commencements, pour favoriser la multiplication de votre peuple. Vous ne deviez songer qu’à l’agriculture et à l’établissement des plus sages lois. Une vaine ambition vous a poussé jusques au bord du précipice. À force de vouloir paraître grand, vous avez pensé ruiner votre véritable grandeur. Hâtez-vous de réparer ces fautes ; suspendez tous vos grands ouvrages ; renoncez à ce faste qui ruinerait votre nouvelle ville, laissez en paix respirer vos peuples ; appliquez-vous à les mettre dans l’abondance, pour faciliter les mariages. Sachez que vous n’êtes roi qu’autant que vous avez des peuples à gouverner, et que votre puissance doit se mesurer, non par l’étendue des terres que vous occuperez, mais par le nombre des hommes qui habiteront ces terres, et qui seront attachés à vous obéir. Possédez une bonne terre, quoique médiocre en étendue ; couvrez-la de peuples innombrables, laborieux et disciplinés ; faites que ces peuples vous aiment : vous êtes plus puis-