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LIVRE x.

de la flatterie, s’il avait été en sa place ? Il est vrai qu’il s’est laissé trop prévenir par ceux qui ont eu sa confiance ; mais les plus sages rois sont souvent trompés, quelques précautions qu’ils prennent pour ne l’être pas. Un roi ne peut se passer de ministres, qui le soulagent et en qui il se confie, puisqu’il ne peut tout faire. D’ailleurs, un roi connaît beaucoup moins que les particuliers les hommes qui l’environnent : on est toujours masqué auprès de lui ; on épuise toutes sortes d’artifices pour le tromper. Hélas ! cher Télémaque, vous ne l’éprouverez que trop ! On ne trouve point dans les hommes ni les vertus ni les talents qu’on y cherche. On a beau les étudier et les approfondir, on s’y mécompte tous les jours. On ne vient même jamais à bout de faire, des meilleurs hommes, ce qu’on aurait besoin d’en faire pour le bien public. Ils ont leurs entêtements, leurs incompatibilités, leurs jalousies. On ne les persuade ni on ne les corrige guère.

Plus on a de peuple à gouverner, plus il faut de ministres, pour faire par eux ce qu’on ne peut faire soi-même, et plus on a besoin d’hommes à qui on confie l’autorité, plus on est exposé à se tromper dans de tels choix. Tel critique aujourd’hui impitoyablement les rois, qui gouvernerait demain beaucoup moins bien qu’eux, et qui ferait les mêmes fautes, avec d’autres infiniment plus grandes, si on lui confiait la même puissance. La condition privée, quand on y joint un peu d’esprit pour bien parler, couvre tous les défauts naturels, relève des talents éblouissants, et fait paraître un homme digne de toutes les places dont il est éloigné. Mais c’est l’autorité qui met tous les talents à une rude épreuve, et qui découvre de grands défauts.

La grandeur est comme certains verres qui grossissent tous les objets. Tous les défauts paraissent croître dans ces