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LIVRE i.

voir hâtez-vous de me les raconter. Elle le pressa longtemps. Enfin il ne put lui résister, et il parla ainsi :

J’étais parti d’Ithaque pour aller demander aux autres rois revenus du siège de Troie des nouvelles de mon père. Les amants de ma mère Pénélope furent surpris de mon départ : j’avais pris soin de le leur cacher, connaissant leur perfidie. Nestor, que je vis à Pylos, ni Ménélas, qui me reçut avec amitié dans Lacédémone, ne purent m’apprendre si mon père était encore en vie. Lassé de vivre toujours en suspens et dans l’incertitude, je me résolus d’aller dans la Sicile, où j’avais ouï dire que mon père avait été jeté par les vents. Mais le sage Mentor, que vous voyez ici présent, s’opposait à ce téméraire dessein : il me représentait, d’un côté, les Cyclopes, géants monstrueux qui dévorent les hommes ; de l’autre, la flotte d’Enée et des Troyens, qui étaient sur ces côtes. Ces Troyens, disait-il, sont animés contre tous les Grecs ; mais surtout ils répandraient avec plaisir le sang du fils d’Ulysse. Retournez, continuait-il, en Ithaque : peut-être que votre père, aimé des dieux, y sera aussitôt que vous. Mais si les dieux ont résolu sa perte, s’il ne doit jamais revoir sa patrie, du moins il faut que vous alliez le venger, délivrer votre mère, montrer votre sagesse à tous les peuples, et faire voir en vous à toute la Grèce un roi aussi digne de régner que le fut jamais Ulysse lui-même.

Ces paroles étaient salutaires ; mais je n’étais pas assez prudent pour les écouter ; je n’écoutai que ma passion. Le sage Mentor m’aima jusqu’à me suivre dans un voyage téméraire, que j’entreprenais contre ses conseils ; et les dieux permirent que je fisse une faute qui devait servir à me corriger de ma présomption.

Pendant qu’il parlait, Calypso regardait Mentor. Elle