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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/253

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TÉLÉMAQUE.

Philoclès, et je me défiai de Protésilas comme de son ami. Cependant Timocrate me disait sans cesse : Si vous attendez que Philoclès ait conquis l’île de Carpathie, il ne sera plus temps d’arrêter ses desseins ; hâtez-vous de vous en assurer pendant que vous le pouvez. J’avais horreur de la profonde dissimulation des hommes ; je ne savais plus à qui me fier. Après avoir découvert la trahison de Philoclès, je ne voyais plus d’homme sur la terre dont la vertu pût me rassurer. J’étais résolu de faire au plus tôt périr ce perfide ; mais je craignais Protésilas, et je ne savais comment faire à son égard. Je craignais de le trouver coupable, et je craignais aussi de me fier à lui. Enfin, dans mon trouble, je ne pus m’empêcher de lui dire que Philoclès m’était devenu suspect. Il en parut surpris ; il me représenta sa conduite droite et modérée ; il m’exagéra ses services ; en un mot, il fit tout ce qu’il fallait pour me persuader qu’il était trop bien avec lui. D’un autre côté, Timocrate ne perdait pas un moment pour me faire remarquer cette intelligence, et pour m’obliger à perdre Philoclès pendant que je pouvais encore m’assurer de lui. Voyez, mon cher Mentor, combien les rois sont malheureux, et exposés à être le jouet des autres hommes, lors même que les autres hommes paraissent tremblants à leurs pieds !

Je crus faire un coup d’une profonde politique, et déconcerter Protésilas, en envoyant secrètement à l’armée navale Timocrate pour faire mourir Philoclès. Protésilas poussa jusqu’au bout sa dissimulation, et me trompa d’autant mieux qu’il parut plus naturellement comme un homme qui se laissait tromper. Timocrate partit donc, et trouva Philoclès assez embarrassé dans sa descente : il manquait de tout ; car Protésilas, ne sachant si la lettre supposée pourrait faire périr son ennemi, voulait avoir en