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LIVRE xi.

et qu’elle ne parvint Jusqu’à moi malgré les flatteurs ; car, n’ayant plus la force de la suivre, sa lumière m’était importune. Je sentais en moi-même qu’elle m’eût causé de cruels remords, sans pouvoir me tirer d’un si funeste engagement. Ma mollesse, et l’ascendant que Protésilas avait pris insensiblement sur moi, me plongeaient dans une espèce de désespoir de rentrer jamais en liberté. Je ne voulais ni voir un si honteux état, ni le laisser voir aux autres. Vous savez, cher Mentor, la vaine hauteur et la fausse gloire dans laquelle on élève les rois : ils ne veulent jamais avoir tort. Pour couvrir une faute, il en faut faire cent. Plutôt que d’avouer qu’on s’est trompé, et que de se donner la peine de revenir de son erreur, il faut se laisser tromper toute sa vie. Voilà l’état des princes faibles et inappliqués : c’était précisément le mien lorsqu’il fallut que je partisse pour le siège de Troie.

En partant, je laissai Protésilas maître des affaires ; il les conduisit, en mon absence, avec hauteur et inhumanité. Tout le royaume de Crète gémissait sous sa tyrannie : mais personne n’osait me mander l’oppression des peuples ; on savait que je craignais de voir la vérité, et que j’abandonnais à la cruauté de Protésilas tous ceux qui entreprenaient de parler contre lui. Mais moins on osait éclater, plus le mal était violent. Dans la suite il me contraignit de chasser le vaillant Mérione, qui m’avait suivi avec tant de gloire au siège de Troie. Il en était devenu jaloux, comme de tous ceux que j’aimais, et qui montraient quelque vertu.

Il faut que vous sachiez, mon cher Mentor, que tous mes malheurs sont venus de là. Ce n’est pas tant la mort de mon fils qui causa la révolte des Crétois, que la vengeance des dieux irrités contre mes faiblesses, et la haine