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TÉLÉMAQUE.

des peuples, que Protésilas m’avait attirée. Quand je répandis le sang de mon fils, les Crétois, lassés d’un gouvernement rigoureux, avaient épuisé toute leur patience ; et l’horreur de cette dernière action ne fit que montrer au dehors ce qui était depuis longtemps dans le fond des cœurs.

Timocrate me suivit au siège de Troie, et rendait compte secrètement, par ses lettres à Protésilas, de tout ce qu’il pouvait découvrir. Je sentais bien que j’étais en captivité ; mais je tâchais de n’y penser pas, désespérant d’y remédier. Quand les Crétois, à mon arrivée, se révoltèrent, Protésilas et Timocrate furent les premiers à s’enfuir. Ils m’auraient sans doute abandonné, si je n’eusse été contraint de m’enfuir presque aussitôt qu’eux. Comptez, mon cher Mentor, que les hommes insolents pendant la prospérité sont toujours faibles et tremblants dans la disgrâce. La tête leur tourne aussitôt que l’autorité absolue leur échappe. On les voit aussi rampants qu’ils ont été hautains ; et c’est en un moment qu’ils passent d’une extrémité à l’autre.

Mentor dit à Idoménée : Mais d’où vient donc que, connaissant à fond ces deux méchants hommes, vous les gardez encore auprès de vous comme je les vois ? Je ne suis pas surpris qu’ils vous aient suivi, n’ayant rien de meilleur à faire pour leurs intérêts ; je comprends même que vous avez fait une action généreuse de leur donner un asile dans votre nouvel établissement : mais pourquoi vous livrer encore à eux après tant de cruelles expériences ?

Vous ne savez pas, répondit Idoménée, combien toutes les expériences sont inutiles aux princes amollis et inappliqués qui vivent sans réflexion. Ils sont mécontents de tout, et ils n’ont le courage de rien redresser.