Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
11
LIVRE i.

passé, la présomption reviendra peut-être. Maintenant il faut se soutenir par le courage. Avant que de se jeter dans le péril, il faut le prévoir et le craindre ; mais, quand on y est, il ne reste plus qu’à le mépriser. Soyez donc le digne fils d’Ulysse ; montrez un cœur plus grand que tous les maux qui vous menacent.

La douceur et le courage du sage Mentor me charmèrent ; mais je fus encore bien plus surpris quand je vis avec quelle adresse il nous délivra des Troyens. Dans le moment où le ciel commençait à s’éclaircir et où les Troyens, nous voyant de près, n’auraient pas manqué de nous reconnaître, il remarqua un de leurs vaisseaux qui était presque semblable au nôtre, et que la tempête avait écarté. La poupe en était couronnée de certaines fleurs : il se hâta de mettre sur notre poupe des couronnes de fleurs semblables ; il les attacha lui-même avec des bandelettes de la même couleur que celles des Troyens ; il ordonna à tous nos rameurs de se baisser le plus qu’ils pourraient le long de leurs bancs, pour n’être point reconnus des ennemis. En cet état, nous passâmes au milieu de leur flotte : ils poussèrent des cris de joie en nous voyant, comme en voyant des compagnons qu’ils avaient crus perdus. Nous fûmes même contraints, par la violence de la mer, d’aller assez longtemps avec eux : enfin, nous demeurâmes un peu derrière ; et, pendant que les vents impétueux les poussaient vers l’Afrique, nous fîmes les derniers efforts pour aborder à force de rames sur la côte voisine de Sicile.

Nous y arrivâmes en effet. Mais ce que nous cherchions n’était guère moins funeste que la flotte qui nous faisait fuir : nous trouvâmes sur cette côte de Sicile d’autres Troyens ennemis des Grecs. C’était là que régnait le