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TÉLÉMAQUE.

que la faiblesse et la misère qui les rende souples, et qui les empêche de résister à l’autorité. Souvent il tâchait de reprendre son ancienne autorité pour m’entraîner, et il la couvrait d’un prétexte de zèle pour mon service. En voulant soulager les peuples, me disait-il, vous rabaissez la puissance royale, et par là vous faites au peuple même un tort irréparable, car il a besoin qu’on le tienne bas pour son propre repos.

À tout cela je répondais que je saurais bien tenir les peuples dans leur devoir en me faisant aimer d’eux ; en ne relâchant rien de mon autorité, quoique je les soulageasse ; en punissant avec fermeté tous les coupables ; enfin donnant aux enfants une bonne éducation, et à tout le peuple une exacte discipline, pour le tenir dans une vie simple, sobre et laborieuse. Hé quoi ! disais-je, ne peut-on pas soumettre un peuple sans le faire mourir de faim ? Quelle inhumanité ! quelle politique brutale ! Combien voyons-nous de peuples traités doucement, et très-fidèles à leurs princes ! Ce qui cause les révoltes, c’est l’ambition et l’inquiétude des grands d’un État, quand on leur a donné trop de licence, et qu’on a laissé leurs passions s’étendre sans bornes ; c’est la multitude des grands et des petits qui vivent dans la mollesse, dans le luxe et dans l’oisiveté ; c’est la trop grande abondance d’hommes adonnés à la guerre, qui ont négligé toutes les occupations utiles qu’il faut prendre dans les temps de paix ; enfin, c’est le désespoir des peuples maltraités ; c’est la dureté, la hauteur des rois, et leur mollesse, qui les rend incapables de veiller sur tous les membres de l’État pour prévenir les troubles. Voilà ce qui cause les révoltes, et non pas le pain qu’on laisse manger en paix au laboureur, après qu’il l’a gagné à la sueur de son visage.