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LIVRE xi.

Tant d’années d’habitude étaient des chaînes de fer qui me liaient à ces deux hommes, et ils m’obsédaient à toute heure. Depuis que je suis ici, ils m’ont jeté dans toutes les dépenses excessives que vous avez vues. ; ils ont épuisé cet État naissant ; ils m’ont attiré cette guerre qui allait m’accabler sans vous. J’aurais bientôt éprouvé à Salente les mêmes malheurs que j’ai sentis en Crète ; mais vous m’avez enfin ouvert les yeux, et vous m’avez inspiré le courage qui me manquait pour me mettre hors de servitude. Je ne sais ce que vous avez fait en moi ; mais, depuis que vous êtes ici, je me sens un autre homme.

Mentor demanda ensuite à Idoménée quelle était la conduite de Protésilas dans ce changement des affaires. Rien n’est plus artificieux, répondit Idoménée, que ce qu’il a fait depuis votre arrivée. D’abord il n’oublia rien pour jeter indirectement quelque défiance dans mon esprit. Il ne disait rien contre vous, mais je voyais diverses gens qui venaient m’avertir que ces deux étrangers étaient fort à craindre. L’un, disaient-ils, est le fils du trompeur Ulysse ; l’autre est un homme caché et d’un esprit profond : ils sont accoutumés à errer de royaume en royaume ; qui sait s’ils n’ont point formé quelque dessein sur celui-ci ? Ces aventuriers racontent eux-mêmes qu’ils ont causé de grands troubles dans tous les pays où ils ont passé : voici un État naissant et mal affermi, les moindres mouvements pourraient le renverser.

Protésilas ne disait rien ; mais il tâchait de me faire entrevoir le danger et l’excès de toutes ces réformes que vous me faisiez entreprendre. Il me prenait par mon propre intérêt. Si vous mettez, me disait-il, les peuples dans l’abondance, ils ne travailleront plus ; ils deviendront fiers, indociles, et seront toujours prêts à se révolter : il n’y a