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TÉLÉMAQUE.

plus de besoins, jouissant d’un calme profond et d’une douce liberté, dont la sagesse de mes livres m’apprend à faire un bon usage, qu’irai-je encore chercher parmi les hommes jaloux, trompeurs et inconstants ? Non, non, mon cher Hégésippe, ne m’enviez point mon bonheur. Protésilas s’est trahi lui-même, voulant trahir le roi, et me perdre. Mais il ne m’a fait aucun mal ; au contraire, il m’a fait le plus grand des biens, il m’a délivré du tumulte et de la servitude des affaires : je lui dois ma chère solitude, et tous les plaisirs innocents que j’y goûte.

Retournez, ô Hégésippe, retournez vers le roi ; aidez-lui à supporter les misères de la grandeur, et faites auprès de lui ce que vous voudriez que je fisse. Puisque ses yeux, si longtemps fermés à la vérité, ont été enfin ouverts par cet homme sage que vous nommez Mentor, qu’il le retienne auprès de lui. Pour moi, après mon naufrage, il ne me convient pas de quitter le port où la tempête m’a heureusement jeté, pour me remettre à la merci des flots. Ô que les rois sont à plaindre ! ô que ceux qui les servent sont dignes de compassion ! S’ils sont méchants, combien font-ils souffrir les hommes ! et quels tourments leur sont préparés dans le noir Tartare ! S’ils sont bons, quelles difficultés n’ont-ils pas à vaincre ! quels pièges à éviter ! quels maux à souffrir ! Encore une fois, Hégésippe, laissez-moi dans mon heureuse pauvreté.

Pendant que Philoclès parlait ainsi avec beaucoup de véhémence, Hégésippe le regardait avec étonnement. Il l’avait vu autrefois en Crète, lorsqu’il gouvernait les plus grandes affaires, maigre, languissant et épuisé ; c’est que son naturel ardent et austère le consumait dans le travail ; il ne pouvait voir sans indignation le vice impuni ; il voulait dans les affaires une certaine exactitude qu’on n’y trouve