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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/273

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TÉLÉMAQUE.

embrasser ; dans son impatience, il compte les jours et les heures. Aurez-vous le cœur assez dur pour être inexorable à votre roi et à tous vos plus tendres amis ?

Philoclès, qui avait d’abord été attendri en reconnaissant Hégésippe, reprit son air austère en écoutant ce discours. Semblable à un rocher contre lequel les vents combattent en vain, et où toutes les vagues vont se briser en gémissant, il demeurait immobile, et les prières ni les raisons ne trouvaient aucune ouverture pour entrer dans son cœur. Mais au moment où Hégésippe commençait à désespérer de le vaincre, Philoclès, ayant consulté les dieux, découvrit par le vol des oiseaux, par les entrailles des victimes, et par divers autres présages, qu’il devait suivre Hégésippe. Alors il ne résista plus, il se prépara à partir ; mais ce ne fut pas sans regretter le désert où il avait passé tant d’années. Hélas ! disait-il, faut-il que je vous quitte, ô aimable grotte, où le sommeil paisible venait toutes les nuits me délasser des travaux du jour ! Ici les Parques me filaient, au milieu de ma pauvreté, des jours d’or et de soie. Il se prosterna, en pleurant, pour adorer la Naïade qui l’avait si longtemps désaltéré par son onde claire, et les Nymphes qui habitaient dans toutes les montagnes voisines. Écho entendit ses regrets, et, d’une triste voix, les répéta à toutes les divinités champêtres.

Ensuite Philoclès vint à la ville avec Hégésippe pour s’embarquer. Il crut que le malheureux Protésilas, plein de honte et de ressentiment, ne voudrait point le voir : mais il se trompait ; car les hommes corrompus n’ont aucune pudeur, et ils sont toujours prêts à toutes sortes de bassesses. Philoclès se cachait modestement, de peur d’être vu par ce misérable ; il craignait d’augmenter sa misère en lui montrant la prospérité d’un ennemi qu’on