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LIVRE i.

Ulysse, dont les artifices avaient renversé la ville de Troie. Ô fils d’Ulysse ! me dit Aceste, je ne puis refuser votre sang aux mânes de tant de Troyens que votre père a précipités sur les rivages du noir Cocyte : vous, et celui qui vous mène, vous périrez. En même temps, un vieillard de la troupe proposa au roi de nous immoler sur le tombeau d’Anchise. Leur sang, disait-il, sera agréable à l’ombre de ce héros ; Énée même, quand il saura un tel sacrifice, sera touché de voir combien vous aimez ce qu’il avait de plus cher au monde.

Tout le peuple applaudit à cette proposition, et on ne songea plus qu’à nous immoler. Déjà on nous menait sur le tombeau d’Anchise. On y avait dressé deux autels, où le feu sacré était allumé ; le glaive qui devait nous percer était devant nos yeux ; on nous avait couronnés de fleurs, et nulle compassion ne pouvait garantir notre vie : c’était fait de nous, quand Mentor demanda tranquillement à parler au roi. Il lui dit :

Ô Aceste ! si le malheur du jeune Télémaque, qui n’a jamais porté les armes contre les Troyens, ne peut vous toucher, du moins que votre propre intérêt vous touche. La science que j’ai acquise des présages et de la volonté des dieux me fait connaître qu’avant que trois jours soient écoulés vous serez attaqué par des peuples barbares, qui viennent comme un torrent du haut des montagnes pour inonder votre ville et pour ravager tout votre pays. Hâtez-vous de les prévenir : mettez vos peuples sous les armes ; et ne perdez pas un moment pour retirer au-dedans de vos murailles les riches troupeaux que vous avez dans la campagne. Si ma prédiction est fausse, vous serez libre de nous immoler dans trois jours ; si, au contraire, elle est