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TÉLÉMAQUE.

résistent à rien. Hélas ! le grand Hercule retomba dans les pièges de l’Amour qu’il avait si souvent détesté ; il aima Déjanire. Trop heureux s’il eût été constant dans cette passion pour une femme qui fut son épouse ! Mais bientôt la jeunesse d’Iole, sur le visage de laquelle les grâces étaient peintes, ravit son cœur. Déjanire brûla de jalousie ; elle se ressouvint de cette fatale tunique que le centaure Nessus lui avait laissée, en mourant, comme un moyen assuré de réveiller l’amour d’Hercule toutes les fois qu’il paraîtrait la négliger pour en aimer quelque autre. Cette tunique, pleine du sang venimeux du centaure, renfermait le poison des flèches dont ce monstre avait été percé. Vous savez que les flèches d’Hercule, qui tua ce perfide centaure, avaient été trempées dans le sang de l’hydre de Lerne, et que ce sang empoisonnait ces flèches, en sorte que toutes les blessures qu’elles faisaient étaient incurables.

Hercule, s’étant revêtu de cette tunique, sentit bientôt le feu dévorant qui se glissait jusque dans la moelle de ses os : il poussait des cris horribles, dont le mont Œta résonnait, et faisait retentir toutes les profondes vallées ; la mer même en paraissait émue : les taureaux les plus furieux, qui auraient mugi dans leurs combats, n’auraient pas fait un bruit aussi affreux. Le malheureux Lichas, qui lui avait apporté de la part de Déjanire cette tunique, ayant osé s’approcher de lui, Hercule, dans le transport de sa douleur, le prit, le fit pirouetter comme un frondeur fait, avec sa fronde, tourner la pierre qu’il veut jeter loin de lui. Ainsi Lichas, lancé du haut de la montagne par la puissante main d’Hercule, tombait dans les flots de la mer, où il fut changé tout à coup en un rocher qui garde encore la figure humaine, et qui étant toujours battu par les vagues irritées, épouvante de loin les sages pilotes.