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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/285

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TÉLÉMAQUE.

de la montagne ; il monte tranquillement sur le bûcher ; il étend la peau du lion de Némée, qui avait si longtemps couvert ses épaules lorsqu’il allait d’un bout de la terre à l’autre abattre les monstres, et délivrer les malheureux ; il s’appuie sur sa massue, et il m’ordonne d’allumer le feu du bûcher. Mes mains, tremblantes et saisies d’horreur, ne purent lui refuser ce cruel office ; car la vie n’était plus pour lui un présent des dieux, tant elle lui était funeste. Je craignis même que l’excès de ses douleurs ne le transportât jusqu’à faire quelque chose d’indigne de cette vertu qui avait étonné l’univers. Comme il vit que la flamme commençait à prendre au bûcher : C’est maintenant, s’écria-t-il, mon cher Philoctète, que j’éprouve ta véritable amitié ; car tu aimes mon honneur plus que ma vie. Que les dieux te le rendent ! Je te laisse ce que j’ai de plus précieux sur la terre, ces flèches trempées dans le sang de l’hydre de Lerne. Tu sais que les blessures qu’elles font sont incurables ; par elles tu seras invincible, comme je l’ai été, et aucun mortel n’osera combattre contre toi. Souviens-toi que je meurs fidèle à notre amitié, et n’oublie jamais combien tu m’as été cher. Mais, s’il est vrai que tu sois touché de mes maux, tu peux me donner une dernière consolation : promets-moi de ne découvrir jamais à aucun mortel ni ma mort, ni le lieu où tu auras caché mes cendres. Je le lui promis, hélas ! je le jurai même, en arrosant son bûcher de mes larmes. Un rayon de joie parut dans ses yeux : mais tout à coup un tourbillon de flammes qui l’enveloppa étouffa sa voix, et le déroba presque à ma vue. Je le voyais encore un peu néanmoins au travers des flammes, avec un visage aussi serein que s’il eût été couronné de fleurs et couvert de parfums, dans la joie d’un festin délicieux, au milieu de tous ses amis.