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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/294

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LIVRE xii.

Troie. Je repris aussitôt : Ah ! qu’as-tu dit, mon fils ? Rends-moi cet arc ; je suis trahi ! ne m’arrache pas la vie. Hélas ! il ne répond rien ; il me regarde tranquillement ; rien ne le touche. Ô rivages ! ô promontoires de cette île ! ô bêtes farouches ! ô rochers escarpés ! c’est à vous que je me plains, car je n’ai que vous à qui je puisse me plaindre : vous êtes accoutumés à mes gémissements. Faut-il que je sois trahi par le fils d’Achille ! il m’enlève l’arc sacré d’Hercule ; il veut me traîner dans le camp des Grecs pour triompher de moi ; il ne voit pas que c’est triompher d’un mort, d’une ombre, d’une image vaine. Oh ! s’il m’eût attaqué dans ma force !… mais, encore à présent, ce n’est que par surprise. Que ferai-je ? Rends, mon fils, rends : sois semblable à ton père, semblable à toi-même. Que dis-tu ?… Tu ne dis rien ! Ô rocher sauvage ! je reviens à toi, nu, misérable, abandonné, sans nourriture ; je mourrai seul dans cet antre : n’ayant plus mon arc pour tuer des bêtes, les bêtes me dévoreront ; n’importe ! Mais, mon fils, tu ne parais pas méchant : quelque conseil te pousse ; rends mes armes, va-t’en.

Néoptolème, les larmes aux yeux, disait tout bas : Plût aux dieux que je ne fusse jamais parti de Scyros ! Cependant je m’écrie : Ah ! que vois-je ? n’est-ce pas Ulysse ? Aussitôt j’entends sa voix, et il me répond : Oui, c’est moi. Si le sombre royaume de Pluton se fût entr’ouvert, et que j’eusse vu le noir Tartare, que les dieux mêmes craignent d’entrevoir, je n’aurais pas été saisi, je l’avoue, d’une plus grande horreur. Je m’écriai encore : Ô terre de Lemnos ! je te prends à témoin ! Ô soleil, tu le vois, et tu le souffres ! Ulysse me répondit sans s’émouvoir : Jupiter lèvent, et je l’exécute. Oses-tu, lui disais-je, nommer Jupiter ! Vois-tu ce jeune homme qui n’était point né pour