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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/300

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LIVRE xiii.

Quelquefois il s’écriait, et interrompait Philoctète sans y penser ; quelquefois il paraissait rêveur, comme un homme qui pense profondément à la suite des affaires. Quand Philoctète dépeignit l’embarras de Néoptolème, qui ne savait point dissimuler, Télémaque parut dans le même embarras ; et dans ce moment on l’aurait pris pour Néoptolème.

Cependant l’armée des alliés marchait en bon ordre contre Adraste, roi des Dauniens, qui méprisait les dieux, et qui ne cherchait qu’à tromper les hommes. Télémaque trouva de grandes difficultés pour se ménager parmi tant de rois jaloux les uns des autres. Il fallait ne se rendre suspect à aucun, et se faire aimer de tous. Son naturel était bon et sincère, mais peu caressant ; il ne s’avisait guère de ce qui pouvait faire plaisir aux autres : il n’était point attaché aux richesses, mais il ne savait point donner. Ainsi y avec un cœur noble et porté au bien, il ne paraissait ni obligeant, ni sensible à l’amitié, ni libéral, ni reconnaissant des soins qu’on prenait pour lui, ni attentif à distinguer le mérite. Il suivait son goût sans réflexion. Sa mère Pénélope l’avait nourri, malgré Mentor, dans une hauteur et une fierté qui ternissaient tout ce qu’il y avait de plus aimable en lui. Il se regardait comme étant d’une autre nature que le reste des hommes ; les autres ne lui semblaient mis sur la terre par les dieux que pour lui plaire, pour le servir, pour prévenir tous ses désirs, et pour rapporter tout à lui comme à une divinité. Le bonheur de le servir était, selon lui, une assez haute récompense pour ceux qui le servaient. Il ne fallait jamais rien trouver d’impossible quand il s’agissait de le contenter ; et les moindres retardements irritaient son naturel ardent.

Ceux qui l’auraient vu ainsi dans son naturel auraient jugé qu’il était incapable d’aimer autre chose que lui--