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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/301

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TÉLÉMAQUE.

même, qu’il n’était sensible qu’à sa gloire et à son plaisir ; mais cette indifférence pour les autres et cette attention continuelle sur lui-même ne venaient que du transport continuel où il était jeté par la violence de ses passions. Il avait été flatté par sa mère dès le berceau, et il était un grand exemple du malheur de ceux qui naissent dans l’élévation. Les rigueurs de la fortune, qu’il sentit dès sa première jeunesse, n’avaient pu modérer cette impétuosité et cette hauteur. Dépourvu de tout, abandonné, exposé à tant de maux, il n’avait rien perdu de sa fierté ; elle se relevait toujours comme la palme souple se relève sans cesse d’elle-même, quelque effort qu’on fasse pour l’abaisser.

Pendant que Télémaque était avec Mentor, ces défauts ne paraissaient point, et ils se diminuaient tous les jours. Semblable à un coursier fougueux qui bondit dans les vastes prairies, que ni les rochers escarpés, ni les précipices, ni les torrents n’arrêtent, qui ne connaît que la voix et la main d’un seul homme capable de le dompter, Télémaque, plein d’une noble ardeur, ne pouvait être retenu que par le seul Mentor. Mais aussi un de ses regards l’arrêtait tout à coup dans sa plus grande impétuosité il entendait d’abord ce que signifiait ce regard, il rappelait d’abord dans son cœur tous les sentiments de vertu. La sagesse rendait en un moment son visage doux et serein. Neptune, quand il élève son trident, et qu’il menace les flots soulevés, n’apaise point plus soudainement les noires tempêtes.

Quand Télémaque se trouva seul, toutes ses passions, suspendues comme un torrent arrêté par une forte digue, reprirent leur cours : il ne put souffrir l’arrogance des Lacédémoniens, et de Phalante, qui était à leur tête.