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LIVRE xiii.

pias, qui, ayant perdu sa fierté, n’osait lever les yeux. Toute l’armée ne pouvait assez s’étonner que Télémaque, dans un âge si tendre, où les hommes n’ont point encore toute leur force, eût pu renverser Hippias, semblable en force et en grandeur, à ces géants, enfants de la terre, qui osèrent autrefois chasser de l’Olympe les immortels.

Mais le fils d’Ulysse était bien éloigné de jouir du plaisir de cette victoire. Pendant qu’on ne pouvait se lasser de l’admirer, il se retira dans sa tente, honteux de sa faute, et ne pouvant plus se supporter lui-même. Il gémissait de sa promptitude ; il reconnaissait combien il était injuste et déraisonnable dans ses emportements ; il trouvait je ne sais quoi de vain, de faible et de bas, dans cette hauteur démesurée. Il reconnaissait que la véritable grandeur n’est que dans la modération, la justice, la modestie et l’humanité : il le voyait ; mais il n’osait espérer de se corriger après tant de rechutes ; il était aux prises avec lui-même, et on l’entendait rugir comme un lion furieux.

Il demeura deux jours renfermé seul dans sa tente, ne pouvant se résoudre à se rendre dans aucune société, et se punissant soi-même. Hélas ! disait-il, oserai-je revoir Mentor ? Suis-je le fils d’Ulysse, le plus sage et le plus patient des hommes ? Suis-je venu porter la division et le désordre dans l’armée des alliés ? est-ce leur sang ou celui des Dauniens leurs ennemis que je dois répandre ? J’ai été téméraire ; je n’ai pas même su lancer mon dard ; je me suis exposé dans un combat avec Hippias à forces inégales ; je n’en devais attendre que la mort, avec la honte d’être vaincu. Mais qu’importe ? je ne serais plus ; non, je ne serais plus ce téméraire Télémaque, ce jeune insensé, qui ne profite d’aucun conseil : ma honte finirait avec ma vie. Hélas ! si je pouvais au moins espérer de ne plus faire ce