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LIVRE xiii.

C’est vous, disait-il, ô grande déesse, qui m’avez donné Mentor pour m’instruire et pour corriger mon mauvais naturel ; c’est vous qui me donnez la sagesse de profiter de mes fautes pour me défier de moi-même ; c’est vous qui retenez mes passions impétueuses ; c’est vous qui me faites sentir le plaisir de soulager les malheureux : sans vous je serais haï, et digue de l’être ; sans vous je ferais des fautes irréparables ; je serais comme un enfant, qui, ne sentant pas sa faiblesse, quitte sa mère, et tombe dès le premier pas.

Nestor et Philoctète étaient étonnés de voir Télémaque devenu si doux, si attentif à obliger les hommes, si officieux, si secourable, si ingénieux pour prévenir tous les besoins : ils ne savaient que croire ; ils ne reconnaissaient plus en lui le même homme. Ce qui les surprit davantage fut le soin qu’il prit des funérailles d’Hippias ; il alla lui-même retirer son corps sanglant et défiguré, de l’endroit où il était caché sous un monceau de corps morts ; il versa sur lui des larmes pieuses ; il dit : Ô grande ombre, tu le sais maintenant combien j’ai estimé ta valeur ! il est vrai que ta fierté m’avait irrité ; mais tes défauts venaient d’une jeunesse ardente ; je sais combien cet âge a besoin qu’on lui pardonne. Nous eussions dans la suite été sincèrement unis ; j’avais tort de mon côté. Ô dieux, pourquoi me le ravir avant que j’aie pu le forcer de m’aimer ?

Ensuite Télémaque fit laver le corps dans des liqueurs odoriférantes ; puis on prépara par son ordre un bûcher. Les grands pins, gémissent sous les coupas de haches, tombent en roulant du haut des montagnes. Les chênes, ces vieux enfants de la terre, qui semblaient menacer le ciel ; les hauts peupliers, les ormeaux, dont les têtes sont si vertes et si ornées d’un épais feuillage, les hêtres, qui sont