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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/327

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TÉLÉMAQUE.

l’honneur des forêts, viennent tomber sur le bord du fleuve Galèse. Là s’élève avec ordre un bûcher qui ressemble à un bâtiment régulier ; la flamme commence à paraître ; un tourbillon de fumée monte jusqu’au ciel.

Les Lacédémoniens s’avancent d’un pas lent et lugubre, tenant leurs piques renversées, et leurs yeux baissés ; la douleur amère est peinte sur ces visages si farouches, et les larmes coulent abondamment. Puis on voyait venir Phérécide, vieillard moins abattu par le nombre des années que par la douleur de survivre à Hippias, qu’il avait élevé depuis son enfance. Il levait vers le ciel ses mains, et ses yeux noyés de larmes. Depuis la mort d’Hippias, il refusait toute nourriture ; le doux sommeil n’avait pu appesantir ses paupières, ni suspendre un moment sa cuisante peine : il marchait d’un pas tremblant, suivant la foule et ne sachant où il allait. Nulle parole ne sortait de sa bouche, car son cœur était trop serré ; c’était un silence de désespoir et d’abattement ; mais, quand il vit le bûcher allumé, il parut tout à coup furieux, et il s’écria : Ô Hippias, Hippias, je ne te verrai plus ! Hippias n’est plus, et je vis encore ! Ô mon cher Hippias, c’est moi qui t’ai donné la mort ; c’est moi qui t’ai appris à la mépriser ! Je croyais que tes mains fermeraient mes yeux, et que tu recueillerais mon dernier soupir. Ô dieux cruels, vous prolongez ma vie pour me faire voir la mort d’Hippias ! Ô cher enfant que j’ai nourri, et qui m’a coûté tant de soins ! je ne te verrai plus, mais je verrai ta mère, qui mourra de tristesse en me reprochant ta mort ; je verrai ta jeune épouse frappant sa poitrine, arrachant ses cheveux ; et j’en serai cause ! Ô chère ombre, appelle-moi sur les rives du Styx : la lumière m’est odieuse : c’est toi seul, mon cher Hippias, que je veux revoir. Hippias ! Hippias ! ô mon cher Hippias !