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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/329

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TÉLÉMAQUE.

plus touché des sentiments tendres de Télémaque. Est-ce donc là, disait-on, ce jeune Grec, si fier si hautain, si dédaigneux, si intraitable ? Le voilà devenu doux, humain, tendre. Sans doute Minerve, qui a tant aimé son père, l’aime aussi ; sans doute elle lui a fait le plus précieux don que les dieux puissent faire aux hommes en lui donnant, avec sa sagesse, un cœur sensible à l’amitié.

Le corps était déjà consumé par les flammes. Télémaque lui-même arrosa de liqueurs parfumées les cendres encore fumantes ; puis il les mit dans une urne d’or qu’il couronne de fleurs, et il porta cette urne à Phalante. Celui-ci était étendu, percé de diverses blessures ; et, dans son extrême faiblesse, il entrevoyait près de lui les portes sombres des enfers.

Déjà Traumaphile et Nosophuge, envoyés par le fils d’Ulysse, lui avaient donné tous les secours de leur art : ils rappelaient peu à peu son âme prête à s’envoler ; de nouveaux esprits le ranimaient insensiblement ; une force douce et pénétrante, un baume de vie s’insinuait de veine en veine jusqu’au fond de son cœur ; une chaleur agréable le dérobait aux mains glacées de la mort. En ce moment, la défaillance cessant, la douleur succéda ; il commença à sentir la perte de son frère, qu’il n’avait point été jusqu’alors en état de sentir. Hélas ! disait-il, pourquoi prend-on de si grands soins de me faire vivre ? ne me vaudrait-il pas mieux mourir et suivre mon cher Hippias ? Je l’ai vu périr tout auprès de moi ! Ô Hippias, la douceur de ma vie, mon frère, mon cher frère, tu n’es plus ! je ne pourrai donc plus ni te voir, ni t’entendre, ni t’embrasser, ni te dire mes peines, ni te consoler dans les tiennes ! Ô dieux ennemis des hommes ! il n’y a plus d’Hippias pour moi ! est-il possible ? Mais n’est-ce point un songe ? Non, il n’est que trop vrai.