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LIVRE xiii.

Ô Hippias, je t’ai perdu : je t’ai vu mourir, et il faut que je vive encore autant qu’il sera nécessaire pour te venger ; je veux immoler à tes mânes le cruel Adraste teint de ton sang.

Pendant que Phalante parlait ainsi, les deux hommes divins tâchaient d’apaiser sa douleur, de peur qu’elle n’augmentât ses maux, et n’empêchât l’effet des remèdes. Tout à coup il aperçoit Télémaque qui se présente à lui. D’abord son cœur fut combattu par deux passions contraires. Il conservait un ressentiment de tout ce qui s’était passé entre Télémaque et Hippias ; la douleur de la perte d’Hippias rendait ce ressentiment encore plus vif : d’un autre côté, il ne pouvait ignorer qu’il devait la conservation de sa vie à Télémaque, qui l’avait tiré sanglant et à demi mort des mains d’Adraste. Mais quand il vit l’urne d’or où étaient renfermées les cendres si chères de son frère Hippias, il versa un torrent de larmes ; il embrassa d’abord Télémaque sans pouvoir lui parler, et lui dit enfin d’une voix languissante et entrecoupée de sanglots :

Digne fils d’Ulysse, votre vertu me force à vous aimer ; je vous dois ce reste de vie qui va s’éteindre : mais je vous dois quelque chose qui m’est bien plus cher. Sans vous le corps de mon frère aurait été la proie des vautours ; sans vous, son ombre, privée de la sépulture, serait malheureusement errante sur les rives du Styx, et toujours repoussée par l’impitoyable Charon. Faut-il que je doive tant à un homme que j’ai tant haï ! Ô dieux, récompensez-le, et délivrez-moi d’une vie si malheureuse ! Pour vous, ô Télémaque, rendez-moi les derniers devoirs que vous avez rendus à mon frère, afin que rien ne manque à votre gloire.

À ces paroles, Phalante demeura épuisé et abattu d’un excès de douleur. Télémaque se tint auprès de lui sans oser lui