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TÉLÉMAQUE.

dant toutes les nuits, par des songes qui lui représentaient son père Ulysse. Cette chère image revenait toujours sur la fin de la nuit, avant que l’aurore vint chasser du ciel, par ses feux naissants, les inconstantes étoiles, et de dessus la terre, le doux sommeil, suivi des songes voltigeants. Tantôt il croyait voir Ulysse nu, dans une île fortunée, sur la rive d’un fleuve, dans une prairie ornée de fleurs, et environné de nymphes qui lui jetaient des habits pour se couvrir ; tantôt il croyait l’entendre parler dans un palais tout éclatant d’or et d’ivoire, où des hommes couronnés de fleurs l’écoutaient avec plaisir et admiration. Souvent Ulysse lui apparaissait tout à coup dans des festins, où la joie éclatait parmi les délices, et où l’on entendait les tendres accords d’une voix avec une lyre, plus douce que la lyre d’Apollon et que les voix de toutes les Muses.

Télémaque, en s’éveillant, s’attristait de ces songes si agréables. Ô mon père ! ô mon cher père Ulysse ! s’écriait-il, les songes les plus affreux me seraient plus doux ! Ces images de félicité me font comprendre que vous êtes déjà descendu dans le séjour des âmes bienheureuses, que les dieux récompensent de leur vertu par une éternelle tranquillité. Je crois voir les Champs-Élysées. Oh ! qu’il est cruel de n’espérer plus ! Quoi donc ! ô mon cher père, je ne vous verrai jamais ! jamais je n’embrasserai celui qui m’aimait tant, et que je cherche avec tant de peine ! jamais je n’entendrai parler cette bouche d’où sortait la sagesse ! jamais je ne baiserai ces mains, ces chères mains, ces mains victorieuses qui ont abattu tant d’ennemis ! elles ne puniront point les insensés amants de Pénélope, et Ithaque ne se relèvera jamais de sa ruine ! Ô dieux ennemis de mon père ! vous m’envoyez ces songes funestes pour arracher toute espérance de mon cœur, c’est m’arracher la vie. Non, je ne puis plus