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LIVRE xiv.

vivre dans cette incertitude. Que dis-je ? hélas ! je ne suis que trop certain que mon père n’est plus. Je vais chercher son ombre jusque dans les enfers. Thésée y est bien descendu ; Thésée, cet impie qui voulait outrager les divinités infernales ; et moi, j’y vais conduit par la piété. Hercule y descendit : je ne suis pas Hercule ; mais il est beau d’oser l’imiter. Orphée a bien touché, par le récit de ses malheurs, le cœur de ce dieu, qu’on dépeint comme inexorable : il obtint de lui qu’Eurydice retournerait parmi les vivants. Je suis plus digne de compassion qu’Orphée ; car ma perte est plus grande. Qui pourrait comparer une jeune fille, semblable a cent autres, avec le sage Ulysse, admiré de toute la Grèce ? Allons ; mourons, s’il le faut. Pourquoi craindre la mort, quand on souffre tant dans la vie ! Ô Pluton, ô Proserpine, j’éprouverai bientôt si vous êtes aussi impitoyables qu’on le dit ! Ô mon père ! après avoir parcouru en vain les terres et les mers pour vous trouver, je vais enfin voir si vous n’êtes pas dans la sombre demeure des morts. Si les dieux me refusent de vous posséder sur la terre et à la lumière du soleil, peut-être ne me refuseront-ils pas de voir au moins votre ombre dans le royaume de la nuit.

En disant ces paroles, Télémaque arrosait son lit de ses larmes : aussitôt il se levait, et cherchait, par la lumière, à soulager la douleur cuisante que ces songes lui avaient causée ; mais c’était une flèche qui avait pénétré son cœur, et qu’il portait partout avec lui. Dans cette peine, il entreprit de descendre aux enfers par un lieu célèbre, qui n’était pas éloigné du camp. On l’appelait Achérontia, à cause qu’il y avait en ce lieu, une caverne affreuse, de laquelle ou descendait sur les rives de l’Achéron, par lequel les dieux mêmes craignent de jurer. La ville était sur un ro-