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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/343

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TÉLÉMAQUE.

tient la vie et tous les biens qu’elle renferme ! Ne leur doit-on pas sa naissance plus qu’au père et à la mère de qui on est né ? Plus tous ces crimes sont impunis et excusés sur la terre, plus ils sont dans les enfers l’objet d’une vengeance implacable à qui rien n’échappe.

Télémaque, voyant les trois juges qui étaient assis et qui condamnaient un homme, osa leur demander quels étaient ses crimes. Aussitôt le condamné, prenant la parole, s’écria : Je n’ai jamais fait aucun mal ; j’ai mis tout mon plaisir à faire du bien ; j’ai été magnifique, libéral, juste, compatissant : que peut-on donc me reprocher ? Alors Minos lui dit : On ne te reproche rien à l’égard des hommes ; mais ne devais-tu pas moins aux hommes qu’aux dieux ? Quelle est donc cette justice dont tu te vantes ? Tu n’as manqué à aucun devoir envers les hommes, qui ne sont rien ; tu as été vertueux, mais tu as rapporté toute ta vertu à toi-même, et non aux dieux qui te l’avaient donnée ; car tu voulais jouir du fruit de ta propre vertu, et te renfermer en toi-même : tu as été ta divinité. Mais les dieux, qui ont tout fait, et qui n’ont rien fait que pour eux-mêmes, ne peuvent renoncer à leurs droits : tu les as oubliés, ils t’oublieront ; ils te livreront à toi-même, puisque tu as voulu être à toi, et non pas à eux. Cherche donc maintenant, si tu le peux, ta consolation dans ton propre cœur. Te voilà à jamais séparé des hommes, auxquels tu as voulu plaire, te voilà seul avec toi-même, qui étais ton idole : apprends qu’il n’y a point de véritable vertu sans le respect et l’amour des dieux, à qui tout est dû. Ta fausse vertu, qui a longtemps ébloui les hommes faciles à tromper, va être confondue. Les hommes, ne jugeant des vices et des vertus que par ce qui les choque ou les accommode, sont aveugles et sur le bien et sur le mal : ici, une lumière di-