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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/345

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TÉLÉMAQUE.

rements ; ma sagesse n’était que folie ; ma vertu n’était qu’un orgueil impie et aveugle : j’étais moi-même mon idole.

Enfin, Télémaque aperçut les rois qui étaient condamnés pour avoir abusé de leur puissance. D’un côté, une Furie vengeresse leur présentait un miroir, qui leur montrait toute la difformité de leurs vices : là, ils voyaient et ne pouvaient s’empêcher de voir leur vanité grossière et avide des plus ridicules louanges ; leur dureté pour les hommes, dont ils auraient dû faire la félicité ; leur insensibilité pour la vertu ; leur crainte d’entendre la vérité ; leur inclination pour les hommes lâches et flatteurs ; leur inapplication, leur mollesse, leur indolence, leur défiance déplacée, leur faste, et leur excessive magnificence fondée sur la ruine des peuples ; leur ambition pour acheter un peu de vaine gloire par le sang de leurs citoyens ; enfin leur cruauté qui cherche chaque jour de nouvelles délices parmi les larmes et le désespoir de tant de malheureux. Ils se voyaient sans cesse dans ce miroir : ils se trouvaient plus horribles et plus monstrueux que ni la Chimère vaincue par Bellérophon, ni l’hydre de Lerne abattue par Hercule, ni Cerbère même, quoiqu’il vomisse, de ses trois gueules béantes, un sang noir et venimeux, qui est capable d’empester toute la race des mortels vivant sur la terre.

En même temps, d’un autre côté, une autre Furie leur répétait avec insulte toutes les louanges que leurs flatteurs leur avaient données pendant leur vie, et leur présentait un autre miroir, où ils se voyaient tels que la flatterie les avait dépeints : l’opposition de ces deux peintures, si contraires, était le supplice de leur vanité. On remarquait que les plus méchants d’entre ces rois étaient ceux à qui on avait donné les plus magnifiques louanges pendant leur vie,