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LIVRE xiv.

parce que les méchants sont plus craints que les bons, et qu’ils exigent sans pudeur les lâches flatteries des poètes et des orateurs de leur temps.

On les entend gémir dans ces profondes ténèbres, où ils ne peuvent voir que les insultes et les dérisions qu’ils ont à souffrir : ils n’ont rien autour d’eux qui ne les repousse, qui ne les contredise, qui ne les confonde. Au lieu que, sur la terre, ils se jouaient de la vie des hommes, et prétendaient que tout était fait pour les servir ; dans le Tartare, ils sont livrés à tous les caprices de certains esclaves qui leur font sentir à leur tour une cruelle servitude : ils servent avec douleur, et il ne leur reste aucune espérance de pouvoir jamais adoucir leur captivité ; ils sont sous les coups de ces esclaves, devenus leurs tyrans impitoyables, comme une enclume est sous les coups des marteaux des Cyclopes, quand Vulcain les presse de travailler dans les fournaises ardentes du mont Etna.

Là, Télémaque aperçut des visages pâles, hideux et consternés. C’est une tristesse noire qui ronge ces criminels ; ils ont horreur d’eux-mêmes, et ils ne peuvent non plus se délivrer de cette horreur que de leur propre nature. Ils n’ont point besoin d’autre châtiment de leurs fautes que leurs fautes mêmes : ils les voient sans cesse dans toute leur énormité ; elles se présentât à eux comme des spectres horribles ; elles les poursuivent. Pour s’en garantir, ils cherchent une mort plus puissante que celle qui les a séparés de leurs corps. Dans le désespoir où ils sont, ils appellent à leur secours une mort qui puisse éteindre tout sentiment et toute connaissance en eux ; ils demandent aux abîmes de les engloutir, pour se dérober aux rayons vengeurs de la vérité qui les persécute ; mais ils sont réservés à la vengeance qui distille sur eux goutte à goutte, et qui ne tarira jamais.