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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/372

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LIVRE xv.

qu’ils étaient bons amis ; mais Acante, profondément dissimulé et intrépide, se défendait avec tant d’art, qu’on ne pouvait le convaincre, ni découvrir le fond de la conjuration.

Plusieurs des rois furent d’avis qu’il fallait, dans le doute, sacrifier Acante à la sûreté publique. Il faut, disaient-ils, le faire mourir ; la vie d’un seul homme n’est rien quand il s’agit d’assurer celle de tant de rois. Qu’importe qu’un innocent périsse, quand il s’agit de conserver ceux qui représentent les dieux au milieu des hommes ?

Quelle maxime inhumaine ! quelle politique barbare ! répondait Télémaque. Quoi ! vous êtes si prodigues du sang humain, ô vous qui êtes établis les pasteurs des hommes, et qui ne commandez sur eux que pour les conserver, comme un pasteur conserve son troupeau ! Vous êtes donc les loups cruels, et non pas les pasteurs ; du moins vous n’êtes pasteurs que pour tondre et pour écorcher le troupeau, au lieu de le conduire dans les pâturages. Selon vous, on est coupable dès qu’on est accusé ; un soupçon mérite la mort ; les innocents sont à la merci des envieux et des calomniateurs : à mesure que la défiance tyrannique croîtra dans vos cœurs, il faudra aussi vous égorger plus de victimes.

Télémaque disait ces paroles avec une autorité et une véhémence qui entraînait les cœurs, et qui couvrait de honte les auteurs d’un si lâche conseil. Ensuite, se radoucissant, il leur dit : Pour moi, je n’aime pas assez la vie pour vouloir vivre à ce prix ; j’aime mieux qu’Acante soit méchant, que si je l’étais ; et qu’il m’arrache la vie par une trahison, que si je le faisais périr injustement, dans le doute. Mais écoutez, ô vous qui, étant établis rois, c’est-à-dire juges des peuples, devez savoir juger les hom-