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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/389

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TÉLÉMAQUE.

le fit mourir. Télémaque, ayant vu la tête de Métrodore, qui était un jeune homme d’une merveilleuse beauté et d’un naturel excellent, que les plaisirs et les mauvais exemples avaient corrompu, ne put retenir ses larmes. Hélas ! s’écria-t-il, voilà ce que fait le poison de la prospérité d’un jeune prince : plus il a d’élévation et de vivacité, plus il s’égare et s’éloigne de tout sentiment de vertu. Et maintenant je serais peut-être de même, si les malheurs où je suis né, grâces aux dieux, et les instructions de Mentor, ne m’avaient appris à me modérer.

Les Dauniens assemblés demandèrent, comme l’unique condition de paix, qu’on leur permit de faire un roi de leur nation, qui pût effacer par ses vertus l’opprobre dont l’impie Adraste avait couvert la royauté. Ils remerciaient les dieux d’avoir frappé le tyran ; ils venaient en foule baiser la main de Télémaque, qui avait été trempée dans le sang de ce monstre ; et leur défaite était pour eux comme un triomphe. Ainsi tomba en un moment, sans aucune ressource, cette puissance qui menaçait toutes les autres dans l’Hespérie, et qui faisait trembler tant de peuples. Semblable à ces terrains qui paraissent fermes et immobiles, mais que l’on sape peu à peu par-dessous : long-temps on se moque du faible travail qui en attaque les fondements ; rien ne paraît affaibli, tout est uni, rien ne s’ébranle ; cependant tous les soutiens souterrains sont détruits peu à peu, jusqu’au moment où tout à coup le terrain s’affaisse, et ouvre un abîme. Ainsi une puissance injuste et trompeuse, quelque prospérité qu’elle se procure par ses violences, creuse elle-même un précipice sous ses pieds. La fraude et l’inhumanité sapent peu à peu tous les plus solides fondements de l’autorité illégitime : on l’admire, on la craint, on tremble devant elle, jusqu’au mo-