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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/392

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LIVRE xvi.

Tous ses amis lui parlaient en vain : son cœur en défaillance était dégoûté de toute amitié, comme un malade est dégoûté des meilleurs aliments. À tout ce qu’on pouvait lui dire de plus touchant, il ne répondait que par des gémissements et des sanglots. De temps en temps on l’entendait dire : Ô Pisistrate, Pisistrate ! Pisistrate, mon fils, tu m’appelles ; je te suis : Pisistrate, tu me rendras la mort douce. Ô mon cher fils ! je ne désire plus, pour tout bien, que de te revoir sur les rives du Styx. Il passait des heures entières sans prononcer aucune parole, mais gémissant, et levant les mains et les yeux noyés de larmes vers le ciel.

Cependant les princes assemblés attendaient Télémaque, qui était auprès du corps de Pisistrate : il répandait sur son corps des fleurs à pleines mains ; il y ajoutait des parfums exquis, et versait des larmes amères. Ô mon cher compagnon, disait-il, je n’oublierai jamais de t’avoir vu à Pylos, de t’avoir suivi à Sparte, de t’avoir retrouvé sur les bords de la grande Hespérie ; je te dois mille soins : je t’aimais ; tu m’aimais aussi. J’ai connu ta valeur ; elle aurait surpassé celle de plusieurs Grecs fameux. Hélas ! elle t’a fait périr avec gloire ; mais elle a dérobé au monde une vertu naissante qui eût égalé celle de ton père : oui, ta sagesse et ton éloquence, dans un âge mûr, aurait été semblable à celle de ce vieillard, admiré de toute la Grèce. Tu avais déjà cette douce insinuation à laquelle on ne peut résister quand il parle ; ces manières naïves de raconter, cette sage modération qui est un charme pour apaiser les esprits irrités, cette autorité qui vient de la prudence et de la force des bons conseils. Quand tu parlais, tous prêtaient l’oreille, tous étaient prévenus, tous avaient envie de trouver que tu avais raison : ta pa-