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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/393

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TÉLÉMAQUE.

role, simple et sans faste, coulait doucement dans les cœurs, comme la rosée sur l’herbe naissante. Hélas ! tant de biens que nous possédions il y a quelques heures, nous sont enlevés à jamais. Pisistrate, que j’ai embrassé ce matin, n’est plus ; il ne nous en reste qu’un douloureux souvenir. Au moins si tu avais fermé les yeux de Nestor avant que nous eussions fermé les tiens, il ne verrait pas ce qu’il voit, il ne serait pas le plus malheureux de tous les pères.

Après ces paroles, Télémaque fit laver la plaie sanglante qui était dans le côté de Pisistrate ; il le fit étendre dans un lit de pourpre, où sa tête penchée, avec la pâleur de la mort, ressemblait à un jeune arbre qui, ayant couvert la terre de son ombre, et poussé vers le ciel des rameaux fleuris, a été entamé par le tranchant de la cognée d’un bûcheron : il ne tient plus à sa racine ni à la terre, mère féconde qui nourrit les tiges dans son sein ; il languit ; sa verdure s’efface ; il ne peut plus se soutenir, il tombe : ses rameaux, qui cachaient le ciel, traînent sur la poussière, flétris et desséchés ; il n’est plus qu’un tronc abattu et dépouillé de toutes ses grâces. Ainsi Pisistrate, en proie à la mort, était déjà emporté par ceux qui devaient le mettre dans le bûcher fatal. Déjà la flamme montait vers le ciel. Une troupe de Pyliens, les yeux baissés et pleins de larmes, leurs armes renversées, le conduisaient lentement. Le corps est bientôt brûlé : les cendres sont mises dans une urne d’or ; et Télémaque, qui prend soin de tout, confie cette urne, comme un grand trésor, à Callimaque, qui avait été le gouverneur de Pisistrate. Gardez, lui dit-il, ces cendres, tristes, mais précieux restes de celui que vous avez aimé ; gardez-les pour son père : mais attendez à les lui donner quand il aura assez de force