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TÉLÉMAQUE.

faire un grand roi que pour faire un bon peintre ? Concluez donc que l’occupation d’un roi doit être de penser, de former de grands projets, et de choisir les hommes propres à les exécuter sous lui.

Télémaque lui répondit : Il me semble que je comprends tout ce que vous dites ; mais si les choses allaient ainsi, un roi serait souvent trompé, n’entrant point par lui-même dans le détail. C’est vous-même qui vous trompez, repartit Mentor : ce qui empêche qu’on ne soit trompé, c’est la connaissance générale du gouvernement. Les gens qui n’ont point de principes dans les affaires et qui n’ont point le vrai discernement des esprits, vont toujours comme à tâtons, c’est un hasard quand ils ne se trompent pas ; ils ne savent pas même précisément ce qu’ils cherchent, ni à quoi ils doivent tendre ; ils ne savent que se défier, et se défient plutôt des honnêtes gens qui les contredisent, que des trompeurs qui les flattent. Au contraire, ceux qui ont des principes pour le gouvernement, et qui se connaissent en hommes, savent ce qu’ils doivent chercher en eux, et les moyens d’y parvenir ; ils reconnaissent assez, du moins en gros, si les gens dont ils se servent sont des instruments propres à leurs desseins, et s’ils entrent dans leurs vues pour tendre au but qu’ils se proposent. D’ailleurs, comme ils ne se jettent point dans des détails accablants, ils ont l’esprit plus libre pour envisager d’une seule vue le gros de l’ouvrage, et pour observer s’il s’avance vers la fin principale. S’ils sont trompés, du moins ils ne le sont guère dans l’essentiel. D’ailleurs ils sont au-dessus des petites jalousies qui marquent un esprit borné et une âme basse : ils comprennent qu’on ne peut éviter d’être trompé dans les grandes affaires, puisqu’il faut s’y servir des hommes, qui sont si souvent trompeurs. On perd plus dans l’irrésolution ou