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LIVRE xvii.

jette la défiance, qu’on ne perdrait à se laisser un peu tromper. On est trop heureux quand on n’est trompé que dans des choses médiocres ; les grandes ne laissent pas de s’acheminer, et c’est la seule chose dont un grand homme doit être en peine. Il faut réprimer sévèrement la tromperie, quand on la découvre ; mais il faut compter sur quelque tromperie, si l’on ne veut point être véritablement trompé. Un artisan, dans sa boutique, voit tout de ses propres yeux et fait tout de ses propres mains ; mais un roi, dans un grand État, ne peut tout faire ni tout voir. Il ne doit faire que les choses que nul autre ne peut faire sous lui, il ne doit voir que ce qui entre dans la décision des choses importantes.

Enfin Mentor dit à Télémaque : Les dieux vous aiment, et vous préparent un règne plein de sagesse. Tout ce que vous voyez ici est fait moins pour la gloire d’Idoménée que pour votre instruction. Tous ces sages établissements que vous admirez dans Salente ne sont que l’ombre de ce que vous ferez un jour à Ithaque, si vous répondez par vos vertus à votre haute destinée. Il est temps que nous songions à partir d’ici ; Idoménée tient un vaisseau prêt pour notre retour.

Aussitôt Télémaque ouvrit son cœur à son ami, mais avec quelque peine, sur un attachement qui lui faisait regretter Salente. Vous me blâmerez peut-être, lui dit-il, de prendre trop facilement des inclinations dans les lieux où je passe ; mais mon cœur me ferait de continuels reproches, si je vous cachais que j’aime Antiope, fille d’Idoménée. Non, mon cher Mentor, ce n’est point une passion aveugle comme celle dont vous m’avez guéri dans l’île de Calypso : j’ai bien reconnu la profondeur de la plaie que l’Amour m’avait faite auprès d’Eucharis ; je ne puis