Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/442

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
425
LIVRE xviii.

dans vos jugements : car vous serez trompé quelquefois ; et les méchants sont trop profonds pour ne surprendre pas les bons par leurs déguisements. Apprenez par là a ne juger promptement de personne ni en bien ni en mal ; l’un et l’autre est très-dangereux : ainsi vos erreurs passées vous instruiront très-utilement. Quand vous aurez trouvé des talents et de la vertu dans un homme, servez-vous-en avec confiance : car les honnêtes gens veulent qu’on sente leur droiture : ils aiment mieux de l’estime et de la confiance, que des trésors. Mais ne les gâtez pas en leur donnant un pouvoir sans bornes : tel eût été toujours vertueux, qui ne l’est plus parce que son maître lui a donné trop d’autorité et trop de richesses. Quiconque est assez aimé des dieux pour trouver dans tout un royaume deux ou trois vrais amis, d’une sagesse et d’une bonté constante, trouve bientôt par eux d’autres personnes qui leur ressemblent, pour remplir les places inférieures. Par les bons auxquels on se confie, on apprend ce qu’on ne peut pas discerner par soi-même sur les autres sujets.

Mais faut-il, disait Télémaque, se servir des méchants quand ils sont habiles, comme je l’ai ouï dire souvent ? On est souvent, répondait Mentor, dans la nécessité de s’en servir. Dans une nation agitée et en désordre, on trouve souvent des gens injustes et artificieux qui sont déjà en autorité ; ils ont des emplois importants qu’on ne peut leur ôter ; ils ont acquis la confiance de certaines personnes puissantes qu’on a besoin de ménager : il faut les ménager eux-mêmes, ces hommes scélérats, parce qu’on les craint, et qu’ils peuvent tout bouleverser. Il faut bien s’en servir pour un temps, mais il faut aussi avoir en vue de les rendre peu à peu inutiles. Pour la vraie et intime confiance, gardez-vous bien de la leur donner jamais, car ils