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TÉLÉMAQUE.

peuvent en abuser, et vous tenir ensuite malgré vous par votre secret ; chaîne plus difficile à rompre que toutes les chaînes de fer. Servez-vous d’eux pour des négociations passagères : traitez-les bien ; engagez-les par leurs passions mêmes à vous être fidèles ; car vous ne les tiendrez que par là : mais ne les mettez point dans vos délibérations les plus secrètes. Ayez toujours un ressort prêt pour les remuer à votre gré ; mais ne leur donnez jamais la clef de votre cœur ni de vos affaires. Quand votre État devient paisible, réglé, conduit par des hommes sages et droits dont vous êtes sûr, peu à peu les méchants, dont vous étiez contraint de vous servir, deviennent inutiles. Alors il ne faut pas cesser de les bien traiter ; car il n’est jamais permis d’être ingrat, même pour les méchants : mais en les traitant bien, il faut tâcher de les rendre bons ; il est nécessaire de tolérer en eux certains défauts qu’on pardonne à l’humanité : il faut néanmoins peu à peu relever l’autorité, et réprimer les maux qu’ils feraient ouvertement si on les laissait faire. Après tout, c’est un mal que le bien se fasse par les méchants ; et quoique ce mal soit souvent inévitable, il faut tendre néanmoins peu à peu à le faire cesser. Un prince sage, qui ne veut que le bon ordre et la justice, parviendra, avec le temps, à se passer des hommes corrompus et trompeurs ; il en trouvera assez de bons qui auront une habileté suffisante.

Mais ce n’est pas assez de trouver de bons sujets dans une nation, il est nécessaire d’en former de nouveaux. Ce doit être, répondit Télémaque, un grand embarras. Point du tout, reprit Mentor ; l’application que vous avez à chercher les hommes habiles et vertueux, pour les élever, excite et anime tous ceux qui ont du talent et du courage ; chacun fait des efforts. Combien y a-t-il d’hommes qui