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FABLES.

pouvoir faire un usage plus prompt et plus commode de l’anneau qui le rendait invisible. La fée lui répondit en soupirant : Vous en demandez trop ! Craignez que ce dernier don ne vous soit nuisible. Il n’écouta rien, et la pressa toujours de le lui accorder. Eh bien, dit-elle, il faut donc, malgré moi, vous donner ce que vous vous repentirez d’avoir. Alors elle lui frotta les épaules d’une liqueur odoriférante. Aussitôt il sentit de petites ailes qui naissaient sur son dos. Ces petites ailes ne paraissaient point sous ses habits : mais quand il avait résolu de voler, il n’avait qu’à les toucher avec la main ; aussitôt elles devenaient si longues, qu’il était en état de surpasser infiniment le vol rapide d’un aigle. Dès qu’il ne voulait plus voler, il n’avait qu’à retoucher ses ailes : d’abord elles se rapetissaient, en sorte qu’on ne pouvait les apercevoir sous ses habits. Par ce moyen, le roi allait partout en peu de moments : il savait tout, et on ne pouvait concevoir par où devinait tant de choses, car il se renfermait, et paraissait demeurer presque toute la journée dans son cabinet, sans que personne osât y entrer. Dès qu’il y était, il se rendait invisible par sa bague, étendait ses ailes en les touchant, et parcourait des pays immenses. Par là, il s’engagea dans de grandes guerres où il remporta toutes les victoires qu’il voulut : mais comme il voyait sans cesse les secrets des hommes, il les connut si méchants et si dissimulés, qu’il n’osait plus se fier à personne. Plus il devenait puissant et redoutable, moins il était aimé, et il voyait qu’il n’était aimé d’aucun de ceux mêmes à qui il avait fait les plus grands biens. Pour se consoler, il résolut d’aller dans tous les pays du monde chercher une femme parfaite qu’il pût épouser, et par laquelle il pût se rendre heureux. Il la chercha longtemps ; et comme il voyait tout sans être vu, il connaissait les secrets les plus impénétrables. Il alla dans toutes les cours : il trouva partout des femmes dissimulées, qui voulaient être aimées, et qui s’aimaient trop elles-mêmes pour aimer de bonne foi un mari. Il passa dans toutes les maisons particulières : l’une avait l’esprit léger et inconstant ; l’autre était artificieuse, l’autre