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FABLES.

invisible comme lui, il le délivra des mains de ces peuples cruels : ils s’embarquèrent. D’autres vents, obéissant à la fée, les ramenèrent ; ils arrivèrent ensemble dans la chambre du roi. Rosimond se présenta à lui, et lui dit : Vous m’avez cru votre fils, je ne le suis pas : mais je vous le rends ; tenez, le voilà lui-même. Le roi bien étonné s’adressa à son fils, et lui dit : N’est-ce pas vous, mon fils, qui avez vaincu mes ennemis, et qui avez fait glorieusement la paix ? ou bien est-il vrai que vous avez fait un naufrage, que vous avez été captif, et que Rosimond vous a délivré ? Oui, mon père, répondit-il. C’est lui qui est venu dans le pays où j’étais captif. Il m’a enlevé ; je lui dois la liberté et le plaisir de vous revoir. C’est lui, et non pas moi, à qui vous devez la victoire. Le roi ne pouvait croire ce qu’on lui disait : mais Rosimond, changeant sa bague, se montra au roi sous la figure du prince ; et le roi, épouvanté, vit à la fois deux hommes qui lui parurent tous deux ensemble son même fils. Alors il offrit, pour tant de services, des sommes immenses à Rosimond, qui les refusa ; il demanda seulement au roi la grâce de conserver à son frère Braminte une charge qu’il avait à la cour. Pour lui, il craignait l’inconstance de la fortune, l’envie des hommes, et sa propre fragilité : il voulut se retirer dans son village avec sa mère, où il se mit à cultiver la terre. La fée, qu’il revit encore dans les bois, lui montra la caverne où son père était, et lui dit les paroles qu’il fallait prononcer pour le délivrer ; il prononça avec une très-sensible joie ces paroles ; il délivra son père, qu’il avait depuis longtemps impatience de délivrer, et lui donna de quoi passer doucement sa vieillesse. Rosimond fut ainsi le bienfaiteur de toute sa famille, et il eut le plaisir de faire du bien à tous ceux qui avaient voulu lui faire du mal. Après avoir fait les plus grandes choses pour la cour, il ne voulut d’elle que la liberté de vivre loin de sa corruption. Pour comble de sagesse, il craignit que son anneau ne le tentât de sortir de sa solitude, et ne le rengageât dans les grandes affaires : il retourna dans le bois où la fée lui avait