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FABLES.

veillèrent à l’ordre public, établirent des lois, les firent observer, et sauvèrent la chose publique, dont l’inapplication, la légèreté, la mollesse des hommes, auraient sûrement causé la ruine totale. Touché de ce spectacle, et fatigué de tant de festins et d’amusements, je conclus que les plaisirs des sens, quelque variés, quelque faciles qu’ils soient, avilissent, et ne rendent point heureux. Je m’éloignai donc de ces contrées en apparence si délicieuses, et, de retour chez moi, je trouvai dans une vie sobre, dans un travail modéré, dans des mœurs pures, dans la pratique de la vertu, le bonheur et la santé que n’avaient pu me procurer la continuité de la bonne chère et la variété des plaisirs.





IX. La patience et l’éducation corrigent bien des défauts.




Une ourse avait un petit ours qui venait de naître. Il était horriblement laid. On ne reconnaissait en lui aucune figure d’animal : c’était une masse informe et hideuse. L’ourse, toute honteuse d’avoir un tel fils, va trouver sa voisine la corneille, qui faisait un grand bruit par son caquet sous un arbre. Que ferais-je, lui dit-elle, ma bonne commère, de ce petit monstre ? j’ai envie de l’étrangler. Gardez-vous-en bien, dit la causeuse : j’ai vu d’autres ourses dans le même embarras que vous. Allez : léchez doucement votre fils ; il sera bientôt joli, mignon, et propre à vous faire honneur. La mère crut facilement ce qu’on lui disait en faveur de son fils. Elle eut la patience de le lécher longtemps. Enfin il commença à devenir moins difforme, et elle alla remercier la corneille en ces termes : Si vous n’eussiez modéré mon impatience, j’aurais cruellement déchiré mon fils, qui fait maintenant tout le plaisir de ma vie.

Oh ! que l’impatience empêche de biens, et cause de maux !