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LIVRE ii.

naient en un instant ; ses plus fidèles serviteurs étaient réduits à s’enfuir ; il n’aimait plus que ceux qui flattaient ses passions. Ainsi il prenait toujours des partis extrêmes contre ses véritables intérêts, et il forçait tous les gens de bien à détester sa folle conduite.

Longtemps sa valeur le soutint contre la multitude de ses ennemis ; mais enfin il fut accablé. Je le vis périr : le dard d’un Phénicien perça sa poitrine. Les rênes lui échappèrent des mains ; il tomba de son char, sous les pieds des chevaux. Un soldat de l’île de Chypre lui coupa la tête ; et, la prenant par les cheveux, il la montra, comme en triomphe, à toute l’armée victorieuse.

Je me souviendrai toute ma vie d’avoir vu cette tête qui nageait dans le sang ; ces yeux fermés et éteints ; ce visage pâle et défiguré ; cette bouche entr’ouverte, qui semblait vouloir encore achever des paroles commencées ; cet air superbe et menaçant, que la mort même n’avait pu effacer. Toute ma vie il sera peint devant mes yeux ; et, si jamais les dieux me faisaient régner, je n’oublierais point, après un si funeste exemple, qu’un roi n’est digne de commander, et n’est heureux dans sa puissance, qu’autant qu’il la soumet à la raison. Eh ! quel malheur, pour un homme destiné à faire le bonheur public, de n’être le maître de tant d’hommes que pour les rendre malheureux !

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