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FABLES.

je mets votre bonheur dans vos mains, j’exaucerai tous vos vœux ; mais pensez attentivement à ce que vous me devez demander. Alors Nélée, revenu de son étonnement, et charmé par la douceur des paroles de la déesse, sentit au dedans de lui la même assurance que s’il n’eût été que devant une personne mortelle. Il était à l’entrée de la jeunesse : dans cet âge où les plaisirs qu’on commence à ressentir occupent et entraînent l’âme tout entière, on n’a point encore connu l’amertume, suite inséparable des plaisirs ; on n’a point encore été instruit par l’expérience. Ô déesse ! s’écria-t-il, si je puis toujours goûter la douceur de la volupté, tous mes souhaits seront accomplis. L’air de la déesse était auparavant gai et ouvert ; à ces mots elle en prit un froid et sérieux : Tu ne comptes, lui dit-elle, que ce qui flatte les sens : eh bien ! tu vas être rassasié des plaisirs que ton cœur désire. La déesse aussitôt disparut. Nélée quitte l’autel, et reprend le chemin de Pylos. Il voit sous ses pas naître et éclore des fleurs d’une odeur si délicieuse, que les hommes n’avaient jamais ressenti un si précieux parfum. Le pays s’embellit, et prend une forme qui charme les yeux de Nélée. La beauté des Grâces, compagnes de Vénus, se répand sur toutes les femmes qui paraissent devant lui. Tout ce qu’il boit devient nectar, tout ce qu’il mange devient ambroisie : son âme se trouve noyée dans un océan de plaisirs. La volupté s’empare du cœur de Nélée, il ne vit plus que pour elle ; il n’est plus occupé que d’un seul soin, qui est que les divertissements se succèdent toujours les uns aux autres, et qu’il n’y ait pas un seul moment où ses sens ne soient agréablement charmés. Plus il goûte les plaisirs, plus il les souhaite ardemment. Son esprit s’amollit, et perd toute sa vigueur ; les affaires lui deviennent un poids d’une pesanteur horrible ; tout ce qui est sérieux lui donne un chagrin mortel. Il éloigne de ses yeux les sages conseillers qui avaient été formés par Nestor, et qui étaient regardés comme le plus précieux héritage que ce prince eût laissé à son petit-fils. La