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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/539

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FABLES.

la maison. Le lait de leur troupeau, qu’elles allaient traire, achevait de mettre l’abondance. On n’achetait rien ; tout était préparé promptement et sans peine. Tout était bon, simple, naturel, assaisonné par l’appétit inséparable de la sobriété et du travail.

Dans une vie si champêtre, tout était chez eux net et propre. Toutes les tapisseries étaient vendues : mais les murailles de la maison étaient blanches, et on ne voyait nulle part rien de sale ni de dérangé ; les meubles n’étaient jamais couverts de poussière : les lits étaient d’étoffes grossières, mais propres. La cuisine même avait une propreté qui n’est point dans les grandes maisons ; tout y était bien rangé et luisant. Pour régaler la famille dans les jours de fête, Proxinoé faisait des gâteaux excellents. Elle avait des abeilles, dont le miel était plus doux que celui qui coulait du tronc des chênes creux pendant l’âge d’or. Les vaches venaient d’elles-mêmes offrir des ruisseaux de lait. Cette femme laborieuse avait dans son jardin toutes les plantes qui peuvent aider à nourrir l’homme en chaque saison, et elle était toujours la première à avoir les fruits et les légumes de chaque temps : elle avait même beaucoup de fleurs, dont elle vendait une partie, après avoir employé l’autre à orner sa maison. La fille secondait sa mère, et ne goûtait d’autre plaisir que celui de chanter en travaillant, ou en conduisant ses moutons dans les pâturages. Nul autre troupeau n’égalait le sien : la contagion et les loups même n’osaient en approcher. À mesure qu’elle chantait, ses tendres agneaux dansaient sur l’herbe, et tous les échos d’alentour semblaient prendre plaisir à répéter ses chansons.

Mélésicthon labourait lui-même son champ ; lui-même il conduisait sa charrue, semait et moissonnait : il trouvait les travaux de l’agriculture moins durs, plus innocents et plus utiles que ceux de la guerre. À peine avait-il fauché l’herbe tendre de ses prairies, qu’il se hâtait d’enlever les dons de Cérès, qui le payaient au centuple du grain semé. Bientôt Bacchus faisait couler pour lui un nectar digne de la table