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LIVRE iii.

obscure antiquité, qui domptèrent les flots, longtemps avant l’âge de Tiphys et des Argonautes tant vantés dans la Grèce ; ils furent, dis-je, les premiers qui osèrent se mettre dans un frêle vaisseau à la merci des vagues et des tempêtes, qui sondèrent les abîmes de la mer, qui observèrent les astres loin de la terre, suivant la science des Égyptiens et des Babyloniens ; enfin qui réunirent tant de peuples, que la mer avait séparés. Les Tyriens sont industrieux, patients, laborieux, propres, sobres et ménagers ; ils ont une exacte police ; ils sont parfaitement d’accord entre eux ; jamais peuple n’a été plus constant, plus sincère, plus fidèle, plus sûr, plus commode à tous les étrangers. Voilà, sans aller chercher d’autres causes, ce qui leur donne l’empire de la mer et qui fait fleurir dans leurs ports un si utile commerce. Si la division et la jalousie se mettaient entre eux ; s’ils commençaient à s’amollir dans les délices et dans l’oisiveté ; si les premiers de la nation méprisaient le travail et l’économie ; si les arts cessaient d’être en honneur dans leur ville ; s’ils manquaient de bonne foi vers les étrangers ; s’ils altéraient tant soit peu les règles d’un commerce libre ; s’ils négligeaient leurs manufactures, et s’ils cessaient de faire les grandes avances qui sont nécessaires pour rendre leurs marchandises parfaites, chacune dans son genre, vous verriez bientôt tomber cette puissance que vous admirez.

Mais expliquez-moi, lui disais-je, les vrais moyens d’établir un jour à Ithaque un pareil commerce. Faites, me répondit-il, comme on fait ici : recevez bien et facilement tous les étrangers ; faites-leur trouver dans vos ports la sûreté, la commodité, la liberté entière ; ne vous laissez jamais entraîner ni par l’avarice ni par l’orgueil. Le vrai moyen de gagner beaucoup est de ne vouloir jamais trop