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LIVRE iv.

sauvé d’un horrible danger ; je m’approchais de mon pays ; je trouvais un secours pour y retourner ; je goûtais la consolation d’être auprès d’un homme qui m’aimait déjà par le pur amour de la vertu ; enfin je retrouvais tout, en retrouvant Mentor, pour ne le plus quitter.

Hasaël s’avance sur le sable du rivage : nous le suivons : on entre dans le vaisseau ; les rameurs fendent les ondes paisibles : un zéphir léger se joue de nos voiles, il anime tout le vaisseau, et lui donne un doux mouvement. L’île de Chypre disparaît bientôt. Hasaël, qui avait impatience de connaître mes sentiments, me demanda ce que je pensais des mœurs de cette île. Je lui dis ingénument en quel danger ma jeunesse avait été exposée, et le combat que j’avais souffert au dedans de moi. Il fut touché de mon horreur pour le vice, et dit ces paroles : Ô Vénus, je reconnais votre puissance et celle de votre fils : j’ai brûlé de l’encens sur vos autels ; mais souffrez que je déteste l’infâme mollesse des habitants de votre île, et l’impudence brutale avec laquelle ils célèbrent vos fêtes.

Ensuite il s’entretenait avec Mentor de cette première puissance qui a formé le ciel et la terre ; de cette lumière simple, infinie et immuable, qui se donne à tous sans se partager ; de cette vérité souveraine et universelle qui éclaire tous les esprits, comme le soleil éclaire tous les corps. Celui, ajoutait-il, qui n’a jamais vu cette lumière pure est aveugle comme un aveugle-né : il passe sa vie dans une profonde nuit, comme les peuples que le soleil n’éclaire point pendant plusieurs mois de l’année ; il croit être sage, et il est insensé ; il croit tout voir, et il ne voit rien ; il meurt n’ayant jamais rien vu ; tout au plus il aperçoit de sombres et fausses lueurs, de vaines ombres, des fantômes qui n’ont rien de réel. Ainsi sont tous