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TÉLÉMAQUE.

de maux, me l’a enlevé ; elle l’a fait votre esclave : souffrez que je le sois aussi. S’il est vrai que vous aimiez la justice, et que vous alliez en Crète pour apprendre les lois du bon roi Minos, n’endurcissez point votre cœur contre mes soupirs et contre mes larmes. Vous voyez le fils d’un roi qui est réduit à demander la servitude comme son unique ressource. Autrefois j’ai voulu mourir en Sicile pour éviter l’esclavage ; mais mes premiers malheurs n’étaient que de faibles essais des outrages de la fortune : maintenant je crains de ne pouvoir être reçu parmi vos esclaves. Ô dieux, voyez mes maux ; ô Hasaël, souvenez-vous de Minos, dont vous admirez la sagesse, et qui nous jugera tous deux dans le royaume de Pluton.

Hasaël, me regardant avec un visage doux et humain, me tendit la main, et me releva. Je n’ignore pas, me dit-il, la sagesse et la vertu d’Ulysse ; Mentor m’a raconté souvent quelle gloire il a acquise parmi les Grecs ; et d’ailleurs la prompte renommée a fait entendre son nom à tous les peuples de l’Orient. Suivez-moi, fils d’Ulysse ; je serai votre père. Jusqu’à ce que vous ayez retrouvé celui qui vous a donné la vie. Quand même Je ne serais pas touché de la gloire de votre père, de ses malheurs et des vôtres, l’amitié que j’ai pour Mentor m’engagerait à prendre soin de vous, il est vrai que je l’ai acheté comme esclave ; mais je le garde comme un ami fidèle : l’argent qu’il m’a coûté m’a acquis le plus cher et le plus précieux ami que j’aie sur la terre. J’ai trouvé en lui la sagesse ; je lui dois tout ce que j’ai d’amour pour la vertu. Dès ce moment, il est libre ; vous le serez aussi : je ne vous demande, à l’un et à l’autre, que votre cœur.

En un instant, je passai de la plus amère douleur à la plus vive joie que les mortels puissent sentir. Je me voyais