Page:Ferdinand Buisson - Sébastien Castellion - Tome 1.djvu/26

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Sans exagérer la portée de ces rapprochements, sans prétendre donner de toute chose une raison et à tout incident une conséquence, il sera permis de remarquer que la situation politique de ces petits pays de Bresse et Bugey, au commencement du XVIe siècle, n’était pas défavorable au développement de ces idées de mansuétude et même de certaines velléités d’indépendance à l’égard de l’Église.

Il ne faut pas oublier l’impression qu’avait dû laisser depuis cinquante ans dans l’imagination du peuple, en Bresse surtout, la figure assurément originale du premier duc de Savoie, Amédée, ou, comme on disait plus couramment, Amé VIII. Ce prince était né à Bourg, il y avait longtemps résidé; enfant, on l’avait plaint de grandir au milieu de tant d’événements tragiques, dont le moindre était la mort mystérieuse de son père; à peine jeune homme, on l’avait admiré, tour à tour soldat heureux, habile diplomate et souverain magnifique ; puis, après trente années d’un gouvernement qu’on peut appeler glorieux, après qu’il eut étendu ses États par conquête, par traités, par mariage, des deux côtés des Alpes, affermi son pouvoir, donné à ses sujets reconnaissants un des premiers codes de lois de l’Europe moderne, le Statut de Savoie, imposé au clergé un véritable concordat, confirmé et défendu contre l’Église elle-même les vieilles libertés municipales, assuré aide et protection aux faibles par cette institution peut-être unique alors, l'advocatus pauperum[1], mérité enfin l’honneur d’être à la fois recherché comme allié par le roi de France et investi par l’Empereur de la couronne ducale, on l’avait vu se retirer, las du règne, dans une sorte de monastère laïque, retraite d’un sage plutôt que d’un moine, faite pour lui au plus riant endroit des bords du lac de Genève; puis inopinément, après cinq ans de retraite, en sortir pour accepter la tiare que lui offrait le concile de Bâle. Pape, il s’était conduit en pape, et il avait conservé la souveraineté pontificale près de dix ans, non seulement sans scandale, mais avec assez d’autorité pour pouvoir la déposer comme il avait déposé sa couronne de duc, par amour de la

  1. Hudry-Menos, la Maison de Savoie et sa politique. (Rev. des Deux Mondes, 15 août 1866, p. 369.)