Page:Ferdinand Buisson - Sébastien Castellion - Tome 1.djvu/28

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partisan des réformes; le synode de Bourg en 1515 s’y montra expressément favorable.

Dans la suite de son gouvernement des Pays-Bas, « sa conduite à l’égard des religionnaires fut aussi sage et modérée qu’on pouvait l’espérer à une époque où l’irritation était si grande contre les sectaires ; elle réprima un zèle indiscret de la part des orthodoxes et n’édicta contre les hérétiques, même après 1529, que des dispositions pénales qui certes n’avaient rien de sanguinaire[1] ». On sait qu’elle sauva la vie à Tyndale, le premier traducteur de la Bible en anglais, qu’elle modéra plus d’une fois la rigueur des persécutions contre les Vaudois. Un document plus précis encore établit qu’elle « pensa à créer une Église nationale belge pour l’opposer à l’Église romaine[2] ».

N’est-ce pas cet état d’esprit, ce reste de soumission sincère que traverse un premier élan de liberté, n’est-ce pas ce trouble précurseur de la Réforme, mélange indécis de respect, de doute et d’espérance, qui trouvait à cette heure même son expression dans un monument unique comme l’instant fugitif qu’il semble fixer? L’église de Brou s’élevait (1511-1536) précisément pendant que grandissait tout près de là Sébastien Chatillon, et le fils du paysan de Saint-Martin put emporter du pays natal l’éblouissante vision de cette merveille à peine éclose.

Il faut lire l’admirable page dans laquelle un autre enfant du pays, à trois siècles de distance, fait revivre le sens de cette poétique création. Edgar Quinet a raison de lire la fin d’un monde et l’annonce des temps nouveaux dans cet exquis et frêle chef-d’œuvre, « le dernier né de l’art gothique, où la pierre même défaille, où l’ogive fléchit et s’arrondit en arceaux », dans ce monument de piété conjugale où un sentiment humain déjà tout moderne s’exprime jusque dans le sanctuaire, où « l’âme d’une femme plie les anciennes formes rigides de la cathédrale à toutes les inventions de sa douleur », où le libre génie de la Renaissance semble déjà

  1. Leglay, Maximilien Ier et Marguerite d’Autriche, in-8. Paris, 1839, p. 64.
  2. Chevrier, Notice historique sur le protestantisme dans le département de l’Ain, in-8, Paris, 1883, p. 9.