Page:Ferdinand Buisson - Sébastien Castellion - Tome 1.djvu/44

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aux registres d’immatriculation des élèves, surtout pour y chercher des répétiteurs qui pouvaient les accompagner et profiter, par surcroît, des cours pour eux-mêmes[1]. D’ailleurs, un mot de Cherler insiste sur le regret qu’eut toujours Chatillon de n’avoir pu faire dans sa jeunesse des études régulières dans une université[2]. Mais le même passage des Épitaphes indique assez clairement, à travers les hyperboles mythologiques, que, dès sa première jeunesse, il s’était distingué par le goût de la poésie latine et grecque.

Ce n’est point là une conjecture : un des textes les plus importants pour la biographie de notre auteur nous donne à cet égard des explications qui méritent d’être reproduites in extenso. Notre jeune précepteur, à l’âge où nous le trouvons à Lyon, est, comme il le dira plus tard, possédé du démon des vers. Voici ce que, à vingt ans de là, il répondra à Calvin qui, entre autres crimes, l’accusait d’orgueil :

Oui, j’ai eu de la vanité, je l’avoue, je le déplore et j’en ai honte aujourd’hui. J’avais une sotte et juvénile confiance dans mon savoir : il arrive trop souvent à ceux qui étudient les lettres et les langues anciennes, d’y attacher plus d’importance qu’à l’esprit (aux choses religieuses). Et pour te montrer combien je suis loin de vouloir excuser mes fautes, je te découvrirai à toi et au monde pour ma punition et à ma honte publique, un trait de vanité que tu as sans doute ignoré (sans cela, l’aurais-tu passé sous silence ?). Mais je veux, en le détestant moi-même, le faire détester de tous :

Comme je vivais à Lyon, tout jeune, avant d’aller te trouver à Strasbourg, il arriva un jour que quelqu’un au lieu de m’appeler de mon nom accoutumé Castellion, me nomma Castalion[3]. Ce nom rappelant la fontaine des Muses, me plut aussitôt, je me l’appropriai, et abandonnant le nom paternel de Castellion, je m’appelai désormais Castalion. Bien plus, je consignai ce nom en acrostiche dans les premiers vers de mon petit poème (grec), le Précurseur : c’était mettre en évidence jusque devant la

  1. Sur cet usage, très fréquent notamment en Savoie, voir Une famille au XVIe siècle, les Du Laurens, par Ch. de Ribbe, 1867, in-12.
  2. Ingenuas artes tenero studiosus ab ævo
    Imbibit, et clariis ora rigavit aquis ;
    Atque, ipsum juvenem quamvis Academia nulla
    Viderit, optato condideritque sinu….

  3. S’il avait voulu plaider les circonstances atténuantes, il pouvait dire que, dans la société qu’il fréquentait à Lyon, les jeux de mots sur les noms propres étaient non seulement un passe-temps à la mode, mais une des mines inépuisables de la poésie latine des humanistes. Ceux de Lyon en particulier, depuis Rousselet jusqu’à Dolet lui-même, se complaisent à ces jeux d’esprit avec une persévérance d’enfantillage tout à fait caractéristique. Ces esprits