Page:Ferdinand Buisson - Sébastien Castellion - Tome 1.djvu/453

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obscure que l’original, et laissant au lecteur le soin d’_y trouver u11 sens .... Olivetan n’a fait qu’une version rudimentaire *. Castalion admettait, au contraire, que « le devoirdu traducteu1· n’est rempli que quand il a ramené· la pensee de son original a une phrase française parfaitement correcte 2 ». Malheureusement des deux conditions imposées de nos jours au traduc- teur, l’ob|igation d‘être aussi littéral qu’il se peut, et l`obligation d’être français, il a sacrifié l’une a l’autre, en sens inverse d’Olivetan. ll ne s’est pas astreint à reproduire l`allure de la phrase hébraïque qui lui paraissait ancompatible avec la langue française. ll a cru pouvoir supplée1· ce qui manquait ai l’original, dans lequel les propositions se succèdent, sans autre artiüce que la copule ct, qui, dans les langues sémitiques, tient lieu de presque toutes nos conjonctions 3. En d’autres termes, il a lié les membres de phrase qui dans le texte sont isoles.

C’est la le principal défaut des deux Bibles de Castalion. Par l’emploi du style périodique, imite des classiques latins ct en parfaite contradiction avecle génie des langues sémitiques, il s’exposeà altérer sinonle sens, au moins la physionomie de l’origiual, à faire disparaitre des prophètes le parallélisme inconnu au xv1° siecle et indispensable pourles comprend1·e. De plus, il a, nous l’avons montré, des inégalités de langue et de style qui font com rendre ue le P. Simon ait u l’accuser d’une éléwance affectee, tandis que llenri Estienne lui reprochait de « parler le Jargon des gueux >w. Ces défauts sont le résultat de la rusticité et d’un’mauque de gout, auquel il faut, pensons—nous,_joindre l`excessive rapidité du travail, peut-étre aussi le parti pris de ne jamais jurer in ’ucrbct magistri et de ne reculer devant aucune hardiesse.

Nous ne pensons pas avoir amoindri les défauts de la Bible de Castalion; mais fussent-ils iuûniment plus nombreux et plus considérables, il n’en faudrait pas moins reconnaître que cette Bible l’emporte sur la revision de Calvin ’*, soit quant au fond, soit quant ai la forme, dans une multitude de passages dont nous avons mis quelquesuns sous les yeux du lecteur, et qu’elle a exercé une heureuse inlluence dont on trouve la trace dans les rcvisions postérieures; encore auraient·elles gagné at s’en inspirer davantage. Dans une lecture qui n’est pas absolument complete, nous avons relevé quatre-vingt-quinze passages qu’on peut citer avec certitude comme des améliorations introduites par Castalion et qui, en dépit de toutes les préventions qu’on avait contre lui et contre son œuvre, ont définitivement pris place dans nos Bibles protestantes. Sa version française marque un progres considérable sur celle de 1553, au point de

1. M. Reuss l’a appelée ·« un chef-d’œuvre pour- l’époque », et nous n’y contredisons pas; mais il parlait au point de vue de la science hébraïque, et nous parlons au point de vue de la langue française.

9. Renan, Préf. de Job, p. 3.

3. Renan, Ilisl. des langues sémit., p. 19.

4. Nous sommes heureux de signaler l’ai·ticle de l’E11cyel0p. des sciences relig. (Il, 676), dans lequel M. Lutteroth a rendu justice ai Castalion : « Castalion, trop hardi a forger des IUOLS, I\`l.l UESIIPÉXIIBHL PLIS !‘él.lSSl PGP SO. version COHIIHO L\1t.hC|" PGP ll]. ‘:il€HI\C, GXCY POU? longtemps la langue de son pays; mais il la savait aussi bien que personne .... Il est rare, il est vrai, quand on lit de suite quelques pages de sa version française, qu’on ne rencontre pas des termes bizarres qui ne pouvaient pas se faire accepter; mais l`imprcssion d’ensemble qu’on en reçoit n’cst pas ce qu`on pourrait supposer .... Rien n’est. moins fondé que lc rep1·oche que ltcnri Estienne lui a adressé, d’avoir manqué de sérieux dans l’accomplissement de la tache qu’il s’était donnée. r